La connaissance de cet âge d'or ne peut pas s'arrêter à des recensements. Ce ne peut être qu'un point de départ. A Pressibus, nous avons commencé, avec nos faibles moyens et notre faible public, à rééditer certains titres qui conservent de grandes qualités. Notre action demeure très isolée. Les amateurs, d'abord, sont très peu nombreux. Les éditeurs, ensuite, ne montrent aucun intérêt (ce n'est sans doute pas sans rapport avec le fait précédent).
Il est vrai que les bandes quotidiennes présentent une petite difficulté de lecture : elles sont bavardes et un peu répétitives. C'est normal, elles ont été conçues pour un autre contexte, celui d'une lecture journalière. Il faut donc un peu réinventer cet environnement par l'imagination pour vraiment prendre goût à ces bandes.
Les américains, les anglais et les hollandais, ont pourtant réédité en nombre leurs grands classiques quotidiens. Pourquoi pas nous ? L'édition en deux gros tomes du 13 rue de l'Espoir de Gillon était un modèle du genre. Son échec commercial fut lourd de conséquences. Qui relèvera le défi ?
Un patrimoine en perdition
La réédition de ces bandes dessinées pose de multiples problèmes. Les autorisations d'auteurs ou de leurs descendants sont difficiles à obtenir. Les originaux sont très souvent perdus. Ceux de France-Soir et de Mondial Presse ont disparu. Intermonde Presse doit garder les siens dans une cave, certains auteurs de L'Humanité ont récupéré les leurs, souvent de façon incomplète.
Quant aux originaux d'Opera Mundi, ils risquent d'être perdus prochainement si personne ne mène une action décidée pour les récupérer. Ils apparaissent comme étant déjà très réduits. Ne pourrait-il pas y avoir dans de tels cas la possibilité pour l'état - ou le musée du C.N.B.D.I. - de réquisitionner ces originaux qui vont disparaître, et qui appartiennent d'abord aux dessinateurs et à leurs familles ?
Dur de rééditer, sans originaux
Sans originaux, il reste les découpages de journaux, même s'ils demandent un long travail de retouches pour être présentables. Mais comment les réunir ? En trouvant un stock de vieux journaux, il n'y aura sûrement pas de séries complètes...
Quant aux bibliothèques et archives, s'il est impensable d'effectuer des découpages, il est très difficile d'obtenir de bonnes reproductions. La photocopie est pratiquement impossible, à cause de la taille des reliures, immenses livres d'environ 60 cm sur 1m, quand ils sont ouverts, et très lourds. De plus les archivistes et documentalistes ne montrent aucune compréhension à des recherches autres que ponctuelles. Le remplacement de ces reliures par des microfilms s'avère catastrophique, tant les documents obtenus sont de mauvaises qualités (et qu'il est difficile de compulser des BD en trait blanc sur fond noir!).
Il ne reste donc plus que vestiges d'un monde pourtant proche, mais déjà lointain, d'un monde dont on ne pourra sauver que quelques monuments, quelques colonnes, quelques pierres...
Puissent ces pages témoigner de ce que fut l'âge d'or de la bande dessinée en France, du côté adulte (mais c'est la même période qui fut l'âge d'or de la BD enfantine, principalement grâce aux petits formats). Rappelez-vous que des millions et des millions de français en lisaient tous les jours. C'est une vérité que toutes les études sur la bande dessinée française doivent maintenant admettre.